CLARA MAÏDA
Via Rupta

Le titre de la pièce reprend l’expression latine dont est issu le mot français « route ». Pour les Romains, la construction d’une voie supposait la « rupture » des obstacles qui se présentaient, d’où le nom « via rupta » qui signifiait une voie rompue, frayée, ou ouverte. Toute la pièce est caractérisée par cette ambiguïté entre la rupture de la matière et l’ouverture de toutes les voies possibles. Via rupta est une psycho-géographie, un système sonore qui fonctionne comme un organisme, au croisement des matières psychique et urbaine. Comme dans mes pièces précédentes, j’ai tenté d’exprimer la vie impalpable des processus psychiques inconscients, affects et pulsions, dans toute sa mobilité. Un des axes constants de mon travail concerne l’écriture d’un corps sonore qui serait le reflet de l’image inconsciente du corps, constituée au cours de notre vécu et quelquefois en conflit avec les limites du schéma corporel réel (sorte de corps virtuel, abstrait, puisqu’il n’apparaît que dans les rêves et les fantasmes, qui peut se prêter à de multiples déformations).

La topologie sonore de la pièce présente plusieurs aspects. D’une part, elle évoque la complexité fonctionnelle et structurelle du psychisme et présente la même articulation en réseaux, le même caractère cinématique. Les multiples trajets, les séries de liens entre les objets musicaux élaborent un maillage constitué d’entrelacements, de croisements, de ramifications, de bifurcations qui dessinent des cartographies abstraites et fugitives. La matière musicale est ainsi soumise à des déformations, des pulvérisations similaires à celles qui peuvent altérer la forme du corps dans les rêves.

D’autre part, le matériau sonore de la pièce est issu de sons enregistrés dans le métro. J’ai choisi le métro car, d’une part, il peut être perçu comme une sorte d’objet intrusif dont les parcours trouent la matière (via rupta) et d’autre part, sa structure arborescente rappelle aussi celle des réseaux associatifs. Le mélange des deux univers sonores (métro et sons instrumentaux) crée une sorte de son mutant, mi-technologique, mi-organique. De plus, le rapprochement entre l’expérience psychique et corporelle et l’univers urbain est souligné par cette rapidité et cette prolifération que l’on retrouve aussi bien dans les connexions mentales que dans la structure d’une ville.

L’écriture musicale constitue un territoire hybride, aux frontières assez floues, dans lequel se confondent la complexité du fonctionnement physiologique et psychique de l’être humain et la multiplicité des configurations acoustiques de la ville souterraine, donnée à entendre comme un corps urbain, une sorte d’énorme mécanique qui aurait une existence autonome.

Corps urbain ou corps imaginaire ? Espace urbain ou espace mental ? Via rupta est une architecture de l’éphémère et de la mobilité. C’est un espace-trame dont la matière est flexible et à dimensions variables. Sa forme est un devenir, un processus incessant, une succession de courtes matérialisations des résultats de trajets sonores extrêmement rapides et trans-génériques.

Clara  Maïda

 

Via rupta
8’55 – 2005

Pièce mixte pour ensemble instrumental et électronique
Commande Etat/GMEM

INSTRUMENTARIUM
Chef
Flûte (flûte en ut)
Clarinettes (clarinette en si bémol et clarinette basse)
Trombone Ténor
Violon
Alto
Violoncelle
Contrebasse

INTERPRÈTES
ENSEMBLE ORCHESTRAL CONTEMPORAIN, ensemble instrumental
FABIAN PANISELLO, direction
CLARA MAÏDA, direction du son

ARTISTES ASSOCIÉS
LEOPOLD FREY, informatique musicale


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CLARA MAÏDA
Shel(l)ter - später... ( ) ...Winter

Shel(l)ter - später... ( ) ...Winter est la première partie d’un cycle de quatre pièces qui se réfère à un espace très spécifique, l’un des abris anti-atomiques de Berlin. Le redoublement de la lettre ‘‘l’’ condense dans le titre les mots ‘‘shell’’, (‘‘coquille’’ ou ‘‘carapace’’, en anglais) et ‘‘shelter’’ (‘‘abri’’), qui évoquent tous deux la tentative de protéger le corps contre toute agression. Mais ‘‘shell’’ signifie également ‘‘obus’’ et la double polarisation de ce mot souligne alors l’absurdité, constante chez l’être humain, qui consiste à construire tout autant des objets de destruction que des

objets de protection contre cette destruction. Placée à l’intérieur de parenthèses, ce redoublement du ‘‘l’’, générateur d’une polyvocité, signale à la fois une butée et la bifurcation ou la transformation d’un élément répété, une rupture, une mutation de la structure d’un matériau donné ou d’une situation, ainsi qu’une séparation ou un enfermement, l’effet pervers autodestructif que toute protection est également susceptible d’induire quand elle débouche sur l’isolement. Le sous-titre ‘‘später... ( ) ...Winter ‘‘- qui signifie en allemand ‘‘plus tard... ( ) ...l’hiver’’ - fait illusion aux hypothèses d’un hiver atomique qui succéderait à l’explosion de plusieurs bombes. Dans ‘‘Shel(l)ter’’, l’écriture musicale est ‘‘atomique’’. Elle résulte d’un assemblage de particules infiniment petites qui, l’énergie s’accumulant, subissent des processus proches de la fusion ou de la fission nucléaires, de la réaction en chaîne (phénomènes observés au niveau de l’atome et délibérément amplifiés dans la construction de bombes atomiques). Elle est aussi ‘‘génétique’’, car les bouleversements induits dans la matière rappellent ceux que l’on peut décrire sur le plan chromosomique (crossing-over - échange du matériau chromosomique - lors de la division cellulaire ou méiose), avec la possibilité d’erreurs, qui engendrent de nouvelles formes. On pourrait parler de ‘‘nanomusique’’ (référence aux nanosciences qui observent et manipulent des objets à l’échelle atomique), dans la mesure où cette mobilité et cette transformation des propriétés du tissu musical résultent de microprocessus qui agissent sur les particules sonores. Ces processus engendrent ainsi des variations de masses, de formes et de parcours, mais aussi des résistances ou des persistances que renforcent certaines formules hachurées, interrompues et un matériau musical (notamment harmonique) volontairement minimal afin de suggérer la notion de perte et d’espace réduit. L’atomique nous rappelle ainsi que tout est particule, tout est atome, le champ sonore n’étant qu’un des possibles du champ infini de la matière.

Clara Maïda


Shel(l)ter - später... ( ) ...Winter
14’ - 2009

Pièce mixte pour ensemble instrumental et électronique
Commande Etat/GMEM

INSTRUMENTARIUM
Chef Clarinette
Basson
Violoncelle
3 percussionnistes
électronique

INTERPRÈTES
NOUVEL ENSEMBLE MODERNE DE MONTRÉAL, ensemble instrumental
LORRAINE VAILLANCOURT, direction
PERCUSSIONS DE STRASBOURG, percussions
CLARA MAÏDA, direction du son

ARTISTES ASSOCIÉS
CHARLES BASCOU, informatique musicale

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ANDREA LIBEROVICI